Si le lecteur se pose la question " Est-il je ? ", c'est que le romancier la lui souffle en combinant délibérément deux registres incompatibles : la fiction et l'autobiographie.
Il donne au héros des traits d'identité qui lui appartiennent en propre. Il sème le paratexte d'indices contradictoires. Il cultive l'ambivalence des citations, des commentaires et des mises en abyme. Il raconte des souvenirs improbables, tantôt à la première, tantôt à la troisième personne. Il se représente en enfant, en adolescent, en écrivain, en voyageur, en amant, en dépression, au tribunal, au confessionnal ou sur le divan...
Sans jamais dire qui il est. Cette stratégie de l'ambiguïté est constitutive d'un genre littéraire mal connu qui fut d'abord nommé roman personnel, puis roman autobiographique, avant d'être rebaptisé récemment, et hâtivement, autofiction. On tente ici non seulement d'inventorier les procédés qu'il met en oeuvre mais aussi de retracer son histoire, d'expliquer son infortune critique et de comprendre comment il fonctionne.
Avec la conviction qu'il détient une part de notre avenir littéraire.
On lira dans ce volume des textes portant sur les nombreux aspects de la vie et de l'oeuvre du grand savant et du grand résistant que fut Jean-Pierre Vernant (1914-2007). Sans s'écarter de la Grèce ancienne, c'est le citoyen Vernant qui est ici à l'honneur.
La vie est une longue série d'essayages et de retouches : on ' bâti ' peu à peu son identité, en suivant la mode, en cherchant son style. Un des apprentissages essentiels de la petite enfance est celui de l'identité narrative : savoir dire ' je ', se construire une histoire, avoir ses mythes fondateurs et son système de valeur. Au lieu d'observer cette construction de l'identité dans l'enfance, on peut la saisir dans l'écart entre les brouillons dune autobiographie : influence des textes déjà lus, les doutes sur les souvenirs d'enfance, les rêveries sur les possibles inaccomplis et les tournants décisifs... Puis il examine en détail, brouillons à l'appui, la genèse de trois ' classiques ' du récit d'enfance ou d'adolescence : Les mots de Sartre, Enfance de Nathalie Sarraute et le Journal d'Anne Franck.
Ugo Dionne. La Voie aux chapitres. Poétique de la disposition romanesque. Il y a un paradoxe de la division romanesque : c'est en s'offrant tout entière au regard, en affichant sans réserve l'appareil qui la signale et la désigne, qu'elle passe le plus souvent inaperçue. La Voie aux chapitres cherche à dissiper cette aveuglante familiarité de la disposition du roman. Derrière l'automatisme de la distribution en chapitres, ce livre fait redécouvrir la richesse multiforme de la surface textuelle. Du plus vaste " cycle " médiéval ou dix-neuviémiste au plus bref chapitre moderne, du recueil au " livre " ou au " chant ", du dispositif paratextuel aux procédés et aux thèmes qui en accompagnent la scansion, il propose un cadastre du roman, un inventaire de ses espaces et de ses limites internes et externes. Du même coup, il entreprend de refonder les rapports, traditionnellement distants, de la poétique et de l'histoire de la littérature. Explorant les différentes périodes de la production romanesque française, du Roman d'Enéas à La Vie mode d'emploi, tout en mettant l'accent principal sur les époques classique et romantique, il illustre une poétique élargie, qui intègre les considérations historiques, sociales et matérielles sans lesquelles il est impossible de comprendre le fonctionnement du texte littéraire.
La vocation du roman est de donner à penser.
Prodigue en détails qui laissent songeur, Il en dit à la fois trop et trop peu : il esquisse et esquive la pensée. Son langage consiste en idées esthétiques, non en concepts : suggestives, impossibles à circonscrire, comme ouvertes sur l'incertain. La fiction se méfie du discours de la vérité. Le XIXe siècle français représente de ce point de vue un tournant dans l'histoire du genre, le moment où se manifeste son essence: le romancier, bon gré mal gré, renonce à la pensée catégorique.
Alors que, dans un tourbillon d'idéologies en concurrence, s'édifie le monde nouveau de la société démocratique, le roman explore "le présent qui marche", comme dit Balzac. II s'interroge sur la place de l'homme dans cette société mouvante, sur ses désirs et ses angoisses. Pour ce faire, il se renouvelle lui-même: apparaissent le roman intime, le roman historique, le roman réaliste. Face au discours spécialisé du savant, du psychologue, du sociologue, de l'historien (de Maine de Biran, de Tocqueville, de Michelet, par exemple), le romancier se pose en "docteur ès sciences sociales", cherchant à saisir le réel dans sa complexité - et avouant sa perplexité.
Le roman donne à penser, mais ne prétend plus instruire. Tel est le paradoxe de la pensée romanesque: à la fois prolixe et sceptique.