En province, la ville imaginaire d'Okourov est séparée par une rivière. Sur une rive vivent les riches commerçants et les notables, sur l'autre, dans le faubourg, s'entassent les pauvres. Depuis toujours, les habitants s'observent, les pauvres envient les riches et les riches se méfient des pauvres. Le seul endroit où tous se côtoient est la maison close, le "Paradis de Felitsiata".
Mais, en 1905, l'atmosphère se charge petit à petit des idées de "liberté", de "réformes", et les faubouriens sont séduits par les perspectives de changement, ce qui n'est pas sans avoir des conséquences sur le paisible bourg d'Okourov. Un roman social court, instantané de la vie provinciale, qui montre l'antagonisme d'une population aux abois et avide de changements, à la veille d'une rupture fondamentale.
Publié en 1914, Enfance est le premier volet de la trilogie autobiographique de Maxime Gorki. Écrivain engagé, proche de Lénine, exilé puis élevé au rang des pères du «réalisme socialiste» par Staline et mort dans des conditions troubles en 1936, Gorki, né Alexis Pechkov, revient ici sur les premières années de sa vie.Après la mort de son père, Alexis part vivre chez son grand-père à Nijni-Novgorod. Dans une famille où il se sent étranger, il grandit entre la brutalité des hommes et le monde sacré et merveilleux des contes de sa grand-mère. Très vite confronté à la violence, à la pauvreté et à la mort, l'enfant apprend à survivre, et l'écrivain le raconte dans un récit initiatique teinté d'une profonde mélancolie.Plus encore que le portrait de l'auteur enfant, c'est le tableau de la Russie de la fin du XIX? siècle que brosse magistralement Gorki. Alternant tendresse et ironie, sans jamais abandonner le réalisme, il fait de sa famille le miroir d'une société à la morale complexe, que l'auteur espère améliorer par la littérature.
Grégoire Orlov souffre, boit, et rosse. Son mariage s'est usé en même temps que ses muscles.
Martha Orlov, à côté du vide et de l'ennui de leur misérable existence, encaisse les coups du destin avec ceux de son mari.
L'air empuanti de leur immeuble couve le choléra.
L'épidémie réveille bientôt chez Grégoire un instinct d'héroïsme qui va le pousser à soigner les malades.
Cette vocation soudaine guérit un temps les déchirements du couple... jusqu'à ce que ressurgisse la nature taciturne du mari. Incapable de satisfaire sa soif d'absolu, Grégoire Orlov s'en remettra à sa soif de vodka.
Maxime Gorki offre avec Les Époux Orlov un récit emblématique, proche du naturalisme. Sous sa plume, le drame de ces travailleurs russes finit par revêtir la puissance d'une tragédie antique.
Dans un misérable garni, une dizaine d'« ex-hommes» (hommes et femmes), s'affairent, se chamaillent, s'insultent et plaisantent. Derrière un rideau, une femme encore jeune, épuisée par la faim et les coups de son mari, agonise dans l'indifférence générale. Arrive Louka, un vagabond âgé, sans papiers, dont la manière d'être tranche sur celle des autres personnages :
Il est doux, s'exprime par aphorismes, et ses paroles consolatrices rendent l'espoir à une ou deux des épaves que compte le garni. Un grand nombre de personnages vont et viennent, dans une ambiance confuse de comédie. Il n'y a pas d'intrigue, l'action, chaotique, tient à un ou deux faits divers. La Cendre, l'un des pensionnaires, tue le tenancier du garni accidentellement, dans une querelle qui tourne mal. À la fin de la pièce, alors que tous s'apprêtent à boire et à chanter, on apprend que l'un des « ex-hommes » qui, d'abord séduit par les belles paroles de Louka, avait cru pouvoir commencer une nouvelle vie, s'est pendu dans la cour.
Klimkov, livré très tôt à lui-même, ne brille ni par sa lucidité, ni par son courage. Orphelin à sept ans, il devient commis pour un libraire qui feint des idées libérales mais autour duquel gravite tout un monde d'indicateurs et de mouchards. Jouet de l'irrépressible besoin de reconnaissance et d'affection qui fait de lui un soumis et un naïf, il se retrouve officiellement informateur de la police politique tsariste. Mais nous sommes en 1905, et dans les rues de Moscou la révolte gronde...
Ce roman (1908), considéré par Gorki comme son oeuvre « la plus mûre », salué à sa sortie par un immense concert d'applaudissements - et de sarcasmes (Lénine condamnera sans appel son « mysticisme ») -, traduit en français dès 1909, sera exclu des oeuvres complètes de l'écrivain par la censure marxiste... et condamné, par le fait, à près d'un siècle d'oubli.
Matveï - qui lui ressemble comme un frère -, fait ses classes sur la route avec les vagabonds, pratique tous les métiers, et finit par trouver la Voie - celle d'un christianisme social parfaitement hérétique - au fil de rencontres hautes en couleur.
La sainte Russie est vaste, et vaste aussi ce roman qui contient la terre immense. Cette générosité-là, seuls les Russes de la grande espèce savent la pratiquer. Et peu importe, dès lors, qu'on adhère ou non aux idées de l'écrivain, aussi sympathiques qu'irréalistes. Il nous suffit d'aller avec lui sur ces chemins perdus semés d'embûches et de merveilles. Marx se perdra en cours de route, et Jésus lui-même... mais nous nous y retrou- vons.
Le 21 juin 1936, André Gide évoque la mémoire de Gorki sur la place Rouge, à Moscou : «La mort de Maxime Gorki n'assombrit pas seulement les États soviétiques, mais le monde entier.» Près de soixante-dix ans plus tard, «le monde entier» aurait tendance à voir en Gorki un porte-drapeau (rouge) plutôt qu'un écrivain universel. L'image du président de la «Société des écrivains soviétiques» pèse sans doute plus lourd que son oeuvre. C'est par un retour à cette oeuvre - celle d'un des meilleurs prosateurs de la langue russe - que Gorki remontera la pente que l'Histoire lui a fait descendre. «Vous sentez excellemment», écrivait Tchékhov au jeune Gorki, «vous avez le sens de la plastique, c'est-à-dire que, quand vous représentez un objet, vous le voyez et le palpez !» Les textes ici rassemblés sont de ceux qui corroborent ce jugement. Non pas les romans à thèse, mais les récits où les vérités n'ont pas cédé la place aux mensonges exaltants. Où les personnages ne sont pas des «types» censés «rendre les hommes meilleurs», mais de petites gens venues des «bas-fonds», parfois des hors-la-loi, pittoresques, complexes, humains - en un mot : vrais. Peu d'analyse, pas d'introspection : un climat, une peinture extraordinairement évocatrice, un lyrisme contenu, une ironie légère. Une langue dont la souplesse, la variété, la précision soumettent le traducteur à rude épreuve. Encore falllait-il la tenter, cette épreuve. La redécouverte de Gorki passait par une réinterprétation : toutes les traductions proposées ici sont donc nouvelles. Loin d'«unifier», elles respectent la tonalité de chaque récit. Oublié le porte-drapeau, voici, rendu à sa polychromie et à sa complexité, l'écrivain.
Le livre est composé de huit nouvelles :
Une fois, en automne, Caïen et Artème, Un étrange compagnon, Les Fermoirs d'argent, Sur les radeaux, Un livre inquiétant, Les Amis et Le Prisonnier Voici huit nouvelles méconnues, courtes et parfaites pour des lectures bilingues, qui permettent de découvrir Gorki sous un angle nouveau et qui illustrent sa capacité à analyser la nature humaine et la société.
Soit une ville de province « douillettement enveloppée dans la verdure des champs »‚ une ville où de toute éternité‚ il ne se passe rien. Pas grand-chose. On y parle de tout et surtout de rien. On rêve vaguement d'une autre vie‚ tandis que la vraie s'écoule.
Dans ce monde archaïque et immuable‚ ce n'est pas l'inspecteur général de Gogol qui peut jeter le trouble‚ mais l'arrivée des ingénieurs‚ des « constructeurs » du chemin de fer. « L'invasion des étrangers »‚ dit Pavline‚ à propos de ces arrivants qui ont‚ pour leur part‚ l'impression de débarquer chez les sauvages.
Au « pays des mortes eaux »‚ entre les postures de l'amour‚ les clichés‚ lieux communs et faux semblants supposés recouvrir le vide‚ les dérisoires luttes de pouvoir‚ quelles vont être les conséquences des bouleversements infimes‚ et de chocs plus conséquents induits par cette intrusion de l'extérieur et du nouveau ? Qui va être le plus détruit et transformé par qui dans ce drôle de jeu ?
Le chef d'oeuvre de Gorki montre l'évolution d'une femme du peuple, Pélagie Vlassova, confrontée à l'engagement de son fils dans l'action du mouvement ouvrier socialiste, sous le tsarisme, quelques années avant la révolution. Elle commence par se montrer inquiète et réticente, puis finit par y jouer un rôle. La prise de conscience de l'héroïne de Gorki n'a rien de simple ni d'automatique. L'auteur montre avec beaucoup de vérité et de psychologie, les obstacles à ce qu'une femme du peuple, à cette époque, prenne part au mouvement social. Roman féministe, il offre un superbe portrait de femme.
Il a donné lieu à diverses adaptations et interprétations, comme le film de Poudovkine, dès 1928, ou la pièce de Brecht.
Alors qu'il mène une vie misérable, vagabondant à la recherche d'emplois pour gagner son pain, un jeune homme est embauché dans une biscuiterie de la ville de Kazan, dont les ouvriers vivent sous la coupe de Vassili Séménoff, patron irascible et brutal. Récit autobiographique, Le Patron est le souvenir d'un hiver passé aux ordres d'un despote, de la rencontre de deux hommes qui jamais ne pourront se comprendre, de la confrontation de deux mondes. Ces quelques mois partagés avec des ouvriers tyrannisés par un employeur alcoolique seront déterminants pour Maxime Gorki, qui deviendra l'un des pionniers de la littérature sociale soviétique.
Nous ? C'est moi‚ c'est vous‚ c'est lui‚ lui‚ nous tous. Oui‚ oui... nous tous ici - les enfants de petits artisans‚ des enfants de gens pauvres... Nous‚ je le dis‚ nous avons eu très faim‚ nous nous sommes beaucoup agités du temps qu'on était jeunes... Nous voulons manger et nous reposer‚ arrivés à l'âge mûr - voilà notre psychologie. Elle ne vous plaît pas‚ Maria Lvovna‚ mais elle est parfaitement naturelle‚ et il ne peut pas y en avoir d'autre ! Avant tout‚ l'être humain‚ très honorable Maria Lvovna‚ et‚ après‚ toutes les autres bêtises... Et donc‚ fichez-nous la paix ! Ce n'est pas parce que vous allez nous injurier‚ et pousser les autres à nous injurier‚ ce n'est pas parce que vous allez nous traiter de lâches et de fainéants que l'un d'entre nous se jettera dans l'activité sociale... Non ! Personne !
Publié en 1907, ce roman dépeint l'itinéraire intellectuel d'une femme confrontée à l'engagement politique de son fils, mais il est surtout un témoignage presque journalistique sur le climat social et politique qui régnait au début du vingtième siècle dans la Russie tsariste et qui allait déboucher sur les événements historiques que l'on sait.
«?Après chaque conversation, je sentais avec une amertume et une netteté croissantes combien mes rêveries et mes pensées étaient incohérentes et fragiles. Le patron les déchirait en lambeaux, il me montrait les vides obscurs qui existaient entre elles et me remplissait l'âme d'une inquiétude douloureuse. Je savais, je sentais qu'il avait tort de nier tranquillement toutes les choses auxquelles je croyais déjà. (...) Il n'était pas question de réfuter les arguments de cet homme, il s'agissait de défendre ma cité intérieure, où s'infiltrait, comme un poison, la conscience de mon impuissance en face de son cynisme.?»
Les Ennemis : ( Maxime Gorki) Dans un district provincial de l'empire tsariste, un petit monde d'oisifs et de privilégiés vit tranquillement. Mais la pensée socialiste commence à se répandre malgré tout et ce petit monde commence à se diviser. Des ouvriers de l'usine revendiquent et menacent de faire grève. L'un des directeurs, Bardine, serait prêt de céder. Son associé Skrobotov préfère la solution de force. Au cours d'une altercation, Skrobotov est tué. Sa mort est aussitôt exploitée pour rendre Bardine responsable. Les membres de la colonie bourgeoise se rapprochent parce qu'ils ont peur. Le jour se lève sur la répression avec l'arrivée de l'armée...
(durée : 3 heures - 16 hommes / 5 femmes).
Strange morning : (Claude-Henri Pech) C'est la descente vers la mort de deux personnages, employés respectables, qui se retrouvent tous les matins sans qu'ils se sentent fondre vers elle.
(durée : 1 heure - 3 hommes / 1 femme).
Découvrez en version bilingue RUSSE-FRANÇAIS neuf nouvelles d'exil rédigées par Maxime Gorki (1868-1936) lors de son séjour en Italie entre 1906 et 1913. Publiés sous le titre de « Contes d'Italie », ces neuf récits présentent une très intéressante variété de styles, mais sont le fidèle reflet des préoccupations qui dominent toute l'oeuvre de Gorki : description de la vie et des difficultés du monde du travail, conflit entre l'attachement aux traditions et l'espérance en un avenir meilleur, rôle décisif de la figure maternelle dans le destin des hommes, etc.
L'Indochine, si présente dans l'inconscient collectif, occupe une place à part dans le souvenir d'une période coloniale complexe et ambiguë. Pourtant, bien des aspects de son histoire restent méconnus, en particulier ce qui a trait à la " Mission Civilisatrice " et à l'action sociale de la France dans la région. C'est aux motivations et aux répercussions d'une confrontation entre enseignement à l'occidental et éducation " indochinoise ", que s'attache cette analyse sur plus d'un siècle de présence française dans les cinq pays de l'Union Indochinoise : Annam, Tonkin, Cochinchine, Cambodge et Laos.
Publiés en Russie de 1895 à 1924 les sept récits qui composent ce recueil sont centrés sur la question des femmes. Ce ne sont pas des oeuvres directement engagées dans les combats idéologiques et politiques comme le sont Les Contes d'Italie ou La Mère. Ils ne sont pas non plus conçus pour permettre une prise de position du haut de laquelle Gorki dévoile un aspect de la réalité comme il le fait dans Confession, dans Enfance ou En gagnant mon pain. Il n'abandonne pas pour autant la réalité sociale russe qu'il connaît si bien mais il s'oriente vers des matériaux plus intimes qui appartiennent à sa vie, à ses souvenirs, cherchant à faire parler des incertitudes qui le tourmentent depuis longtemps et sont un aspect moins connu, voire méconnu de sa personnalité. Il faut prendre en compte cette caractéristique pour bien comprendre tous les aspects de l'écrivain de combat qu'il fut.
Jadis‚ un morceau infime et infirme d'albumine a jailli sous le soleil vers la vie‚ il s'est multiplié‚ il s'est décomposé en aigle‚ en lion‚ et en homme ; viendra le temps et‚ de nous‚ les hommes‚ de tous les hommes‚ surgira à la vie un organisme puissant et plein de majesté - l'humanité ! L'humanité‚ mes amis ! Alors‚ toutes les cellules auront un passé plein des grandes conquêtes de la pensée‚ - plein de notre travail ! Le présent - c'est un travail libre‚ commun pour la jouissance par le travail‚ et‚ le futur - je le pressens‚ je le vois - il est splendide. L'humanité grandit et mûrit. Voilà la vie‚ voilà son sens !
Quand il écrit Paul-le-malchanceux, Gorki est déjà connu pour ses récits Les Vagabonds qui montrent la vie errante des nombreux réfractaires qui n'arrivent pas à trouver leur place en Russie et partent sur les routes. Pendant des années, Gorki a lui-même sillonné la Russie à pied en leur compagnie. Il a appris leur langue riche et épicée, partagé les cellules des salles de police où on les parque, s'est passionné pour les péripéties de leurs vies qui témoignent de l'impossibilité à trouver le bonheur ou l'apaisement. De tout cela il a fait l'aliment de ses livres.
Paul-le-malchanceux s'éprend d'une jeune femme semi-prostituée et cette liaison tourne au drame. Paul fait partie de cette galerie de personnages pour qui Gorki a une tendresse particulière parce que personne ne leur apporte l'aide qui pourrait leur faire quitter le rivage du malheur. L'oeuvre de Gorki est hantée par ce besoin de solidarité entre les hommes,dont l'absence est le plus sûr moyen de les renvoyer dans un monde où personne n'est plus rien et devient vite un être malfaisant. On retrouve dans ce roman les qualités de La Mère, de Thomas Gordéiev, de Un premier amour qui ont placé Gorki au premier plan de la littérature mondiale.
La maison Artamonov est un des grands romans de Maxime Gorki, qui peut être lu comme la chronique annoncée de la Révolution d'octobre. Il relate l'aventure de ces familles qui ont bâti des entreprises devenues rapidement très grandes et qui de ce fait leur échappent. Du premier des Artamonov, libéré du servage en 1861 et fondateur de la filature qui porte son nom, à son petit-fils qui doit en hériter, deux générations se sont écoulées, et bien des changements sont intervenus dans les mentalités et les rapports sociaux. L'argent l'emporte sur l'honnêteté, la combine sur la parole donnée. Gorki excelle à montrer le carcan de l'argent dans lesquels les Artamonov sont pris sans retour, et les tourments des personnages en quête du sens de leur existence.