«Je ferai, oui, l'éloge de la poésie. Sans restrictions. Sans états d'âme. Parce que la poésie n'est justement pas le lieu de la demi-mesure. Je le ferai d'une voix pleine, vive s'il le faut. Parce qu'on ne peut admettre plus longtemps, n'est-ce pas, que les poètes, malgré les révérences qu'on leur fait de loin en loin pour se disculper de la désinvolture et de l'indifférence avec lesquelles on les traite ordinairement, soient renvoyés à leur étrange petit commerce particulier qui n'aurait rien à voir avec les affaires du monde. Je veux faire l'éloge de la poésie pour tous, non pas, voyez-vous, comme un agrément, un ornement de l'existence ou le partage de je ne sais quelle distinction supérieure:comme une nécessité vitale.»
Jean-Pierre Siméon prête sa voix à un hypothétique sage chinois - Tao Li Fu - qu'il prend plaisir à imaginer à la fois vieux et facétieux... Cela donne cinquante-sept maximes, ici traduites en chinois, et dont certaines sont calligraphiées. Un livre raffiné et malicieux qui réjouira petits et grands.
«Je sais bien que, s'agissant de poésie, qui veut mal de mort à la froideur du concept et à l'esprit de système, ce titre Une théorie de l'amour, semble contrevenir au bon sens. Je tiens cependant que c'est trop rapidement en juger. La vérité est qu'aujourd'hui plus que jamais sans doute, la pensée du monde, de la vie et de ses circonstances, otage des machinologues en tout genre, s'asservit pour notre malheur à la souveraineté d'une abstraction qui s'épargne les démentis du réel. Seule objecte à mes yeux à cette emprise délétère ce que la poésie depuis toujours fomente : une compréhension des choses non surplombante mais impliquée, sensuelle assurément, qui a aussi pour moyen la main et le pied. La pensée dans le poème a du corps enfin, et c'est le corps du monde, et c'est le corps de chacun. En quoi elle s'accroît d'un souffle, d'un rythme, d'un dynamisme, pulsations du sang et du vent. Le poème réchauffe le concept et soumet la pensée au vivant contrordre que recèle la liberté native du réel. Mouvement perpétuel, mort du dogme. Il est temps de repenser poétiquement la vie.»Jean-Pierre Siméon
Ce livre rassemble trois recueils majeurs de Jean-Pierre Siméon : Le bois de hêtres, Fresque peinte sur un mur obscur et Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, trois recueils qui procèdent du même sentiment intime, ardent et déchiré, afin que demeurent au coeur des nuits accumulées les arguments irréductibles de la vie pleine et entière, de la vie désirante dont l'amour, comme tout franchissement des limites, se veut une expérience toujours unique et sans cesse renouvelée. Il est en effet une joie possible, mais qui n'est légitime qu'en lien avec une lucidité sans compromis : c'est pourquoi ces poèmes se font aussi l'écho des désaveux infligés à l'homme par l'homme, ainsi que des pertes, gouffres et naufrages que porte toute existence. Ils persistent cependant dans le chant et par le chant, faisant d'un même mouvement louange des heures intensément vécues, et des beautés insolentes arrachées jusqu'au coeur du désastre.
On n'entend pas le pas d'un homme qui va à son travail et quand un homme court vers ce qu'il aime c'est son souffle qu'on entend mais quand la foule des guerriers se met en chemin c'est son pas d'abord qu'on entend son pas qui martèle oui les coups du marteau sur la terre le pas qui frappe et qui dit je suis là je suis partout Stabat Mater Furiosa, cri solitaire d'une femme qui se révolte contre la guerre et la violence, fut montée pour la première fois en 1999 par Christian Schiaretti. Depuis plus de soixante mises en scène ont été réalisées en France. Cette pièce d'un poète venu au théâtre a été traduite en sept langues et jouée dans quatorze pays.
"Politique de la beauté est la réponse engagée apportée par Jean-Pierre Siméon à une poésie rétrécie, limitée à ses jeux sur la forme. Dans ce manifeste poétique, l'auteur affirme de la plus belle des manières que la poésie, sans rien abandonner de son exigence, sait être lumineuse et fraternelle, une rencontre avec la beauté.
Extrait :
Je crois à une politique de la beauté, elle serait devant les êtres et les choses, non pas seulement le mot juste, mais son frisson de feuillage sous l'averse.
Une loyauté de coeur.
[...]
La poésie, ça vous barbe ; c'est inutile, vous n'avez pas le temps, ce n'est pas sérieux, c'est bon pour les petites filles boudeuses ou les illuminés solitaires et romantiques, c'est charmant comme un bouquet de fleurs, mais, à choisir, mieux vaut un steak sur la table. Et puis, de toute façon, on n'y comprend rien !
« Je suis persuadé que nous portons tous en nous à l'état latent le besoin poétique, qui n'est pas un besoin de joliesse ou de consolation mais un désir d'effraction, le désir de sortir du carcan et qu'il est la plupart du temps, enfoui, refoulé, fui même, parce que à juste titre ressenti comme inquiétant : il inquiète, pour dire vrai, le paresseux, le conformiste par commodité, que tout homme héberge en lui, celui qui se protège de la vie. » Dans la Flaque qui brille au retrait de la mer, Matière à réflexion, essai et aphorismes, Jean-Pierre Siméon s'empare avec énergie et malice de l'occasion qui lui est donnée d'apporter réponse à l'insoluble et ambigu questionnement « Mais comment donc êtes-vous devenu poète ? ».
Jean-Pierre Siméon donne des clés au forçat volontaire qu'est le poète pour révolutionner cette matière qu'est la langue. Dans l'exploration de la nécessaire tension qui définit l'expérience humaine entre l'aspiration à la norme et « le désir d'effraction » - tension intrinsèque à la langue et à la vie elle-même -, c'est alors une éthique qui se dessine, une morale de l'arrachement.
Quel est ce mystère d'écrire ? Qu'est-ce qui amène à l'écriture ? Quelle phrase, quel texte, peut marquer un.e auteur.e à ses débuts et pourquoi ? Quand est-ce qu'écrire devient une évidence ? Quelles influences ? Qui sont les auteur.es ou les textes qui ne quittent plus l'écrivain.e ? Dans cette collection des auteur.es s'adressent librement et dans une forme qui leur est propre à quelqu'un qui est plein de doutes, mais qui veut écrire.
Confronté.e parfois à des questions insolubles, il ou elle est en recherche de réponses, de pistes pour franchir le pas.
En définissant le poète et le lecteur comme dépositaires et reflets d'une même expérience, celle de l'indispensable pas de côté qu'est la parole poétique, Jean-Pierre Siméon confère au désir poétique une dimension universelle. Urgente et nécessaire, la poésie s'offre à tous comme un levier pour émouvoir le réel.
Oui ça va mal oui les temps sont critiques et de tous les malheurs qui grognent à nos mollets de tous les abandons qui nous vident le coeur de toutes les défaites qui nous brisent la nuque l'enfermement où dans ces heures poisseuses on tient désormais la langue notre langue la langue commune la langue partagée populaire celle-là l'improbable la sauvage et la douce qui dit la bonté de l'instant et la chiennerie des jours cet enfermement-là qui n'apparaît pas qu'on ne sent pas qui ne s'avoue pas.
Les poèmes de ce « livre » sont à l'image de son titre : enthousiastes, volontaires, énergiques et entraînants. Croyant la poésie capable de sauver le monde, l'auteur exhorte le lecteur à se soulever dans la joie au-dessus de ses fragilités et de ses craintes, en manifestant sa foi en une poésie qui « réconcilie le rêve et l'action, le rêve et la réalité », comme l'écrivait Aimé Césaire à qui un vibrant hommage est rendu en épilogue. Qu'il passe de la célébration à l'exhortation ou entretienne des « dialogues intérieurs » avec des poètes étrangers et des villes traversées, c'est toujours la même voix qu'on entend, exaltée, militante, contagieuse et joliment maîtrisée.
Les Variati ons Sophocle, cycle dont le point de départ est la demande que Christi an Schiaretti a adressée à Jean-Pierre Siméon pour l'écriture de Philoctète, une réécriture liée à son travail de poète qui a pour essenti elle préoccupati on d'opérer un transfert d'une langue dans une autre, c'est-à-dire non pas du grec au français comme le traducteur, mais d'une poésie dans une autre. Et cela est de grande conséquence, la réécriture ici engendre une métamorphose, c'est la même chose mais sous une autre forme : comme on dirait, un lapin devient un chat. Autre rythme, autre intensité, autre substrat métaphorique, autre voix dans la langue . Ce n'est évidemment pas mieux, c'est autre.
C'est, si l'on veut, Sophocle tel quand lui-même sa poésie le change.
Ces textes ne sont donc ni traducti on, ni adaptati on, on peut les nommer « variati ons poéti ques ». Jean-Pierre Siméon conserve l'argument, les moti fs centraux, les personnages et la trame jusque dans son déroulé chronologique. Mais si une traducti on suit le texte ligne à ligne, une variati on échappe sans arrêt à cett e servitude, ne s'interdisant ni expansions, ni soustracti ons, ni ellipses, ni ajouts ponctuels. La parole au contraire s'invente dans sa propre rythmique, celle qu'on retrouve par exemple déjà dans le Stabat Mater Furiosa.
Autres mythologies grecques : Témoins à charge, chronologiquement la première des pièces présentées ici, ensemble apparemment disparate de brefs monologues, que l'auteur appelle pour sa part des « minilogues », matériau dont Jean-Louis Hourdin s'est emparé pour un fameux stage à Pernand-Vergelesses, est en grande parti e moti vé par cett e recherche d'une poésie apte à tenir le plateau. Et il était logique que ce travail mène à la tragédie puisqu'aussi bien la poésie est son langage nécessaire. Et donc à l'origine grecque.
Les deux autres pièces, Odyssée, dernier chant et La mort n'est que la mort si l'amour lui survit, écrites dans cett e langue inventée et affi rmée dans mon travail sur les pièces de Sophocle justement, et écrites comme dans leur prolongement, sont des variati ons d'un autre type puisque ne partant d'aucun texte originel, elles sont comme des dérivés, des rêveries dont la substance cependant doit tout ou presque à la mythologie grecque.
Tout cela pour dire que si ladite mythologie est le soubassement de tous ces textes, ils sont aussi peu ou prou le manifeste en acte d'une poésie pour le théâtre et les témoins d'un parcours de vingt-cinq ans, singulier et opiniâtre dans ses partis pris.
Philosophe croyant, Jean-Pierre Siméon (1935-2010) a rédigé entre 1987 et 1996, en marge de ses écrits sur la technologie et la démocratie, trois essais : La Loi, Qohelet et Les Proverbes. Des textes qui interrogent, sous forme de méditations libres, la portée existentielle des Écritures de l'Ancien Testament. A la suite d'un Jacques Ellul, dont il était proche, il apporte une matière à réflexion portant bien au-delà de la question théologique. Trois textes courts, très clairs, destinés à un public cherchant une pensée sur la religion qui dépasse la vision des croyant.e.s. Restés confidentiels ou inédits, ils se retrouvent réunis ici pour la première fois.
Si la joie doit venir, elle viendra, bonne fille, implacablement.
C'est une loi d'homme / j'obéis moi à une loi plus grande / cette loi d'en haut qui n'a ni début ni fin / la loi de ceux qui aiment / qui n'a ni début ni fin / que pèse la loi d'un mortel / face aux lois immortelles ? rien / je ne crains pas de te désobéir / je crains de trahir ce que mon coeur sait juste / Rotrou, Hölderlin, Cocteau, Brecht, Anouilh ou Bauchau, parmi tant d'autres : depuis Eschyle et Sophocle, il n'est sans doute pas de personnage de fiction qui ait, autant qu'Antigone, si constamment sollicité l'imaginaire des écrivains et conséquemment l'imaginaire collectif. Sans doute parce que sa valeur est fondamentalement positive et que sa magnifique insoumission à l'ordre établi et aux lois abstraites, motivée par la loi du coeur, venge chacun d'entre nous de ses renoncements devant les mille formes du pouvoir politique, social ou religieux.
Création au TNP (Villeurbanne), mise en scène par Christian Schiaretti, du 11 octobre 2016 au 19 mars 2017. La pièce sera également présentée en intégrale avec Electre, les 8 et 15 octobre 2016.
Voix reconnue de la poésie française contemporaine, salué par de nombreux prix, Jean-Pierre Siméon vient au théâtre en 1997 avec l'écriture de Stabat Mater Furiosa. En écrivant pour le plateau il n'effectue pas une rupture radicale mais infléchit sa langue qu'il nomme « poésie de théâtre ».
Les nombreuses mises en scène et traductions de ses textes en font aujourd'hui un des auteurs majeurs de la scène contemporaine française.
Ce volume réunit l'ensemble de ses textes de théâtre publiés entre 1999 et 2004 :
Stabat Mater Furiosa Soliloques D'entre les morts Le Petit Ordinaire La Lune des pauvres Sermons joyeux
Il est toujours maladroit mon Paulo même avec les mots même pour dire le meilleur il choisit les pires mais est-ce qu'il est mieux ton Damien ?
Lui il n'a pas de mots on dirait mais le pas de mots ça tue pareil une mort lente et qui se voit pas mais une mort pareille tu vois Plumette ma jolie finalement c'est comme un peu s'il t'aurait sauvée couille de rat mieux vaut mourir d'un infarctus du baiser que d'un long cancer de l'âme Deux jeunes femmes avec bagages s'installent dans la salle d'attente déserte d'une gare perdue de la grande banlieue, attendant qu'on vienne les chercher. Comme il est naturel et ordinaire, c'est dans cette circonstance vide que l'imprévu advient, et tout déraille....
Ah marins ô mes marins fidèles / compagnons des tempêtes / et dompteurs de la houle / voyez voyez mon naufrage / et quelle vague furieuse / a chaviré mon âme / aidez-moi je vous en prie / aidez-moi à mourir tout à fait / Ajax, comme Philoctète, Électre ou Antigone, est bien un être révolté et comme pour les autres sa révolte peut bien se justifier de la trahison des siens, de l'injustice qui lui est faite, d'un besoin de vengeance qui est la nécessaire réponse à l'humiliation. Cependant, si dans toutes les pièces l'excès et la démesure des sentiments humains sont le ressort du tragique, Ajax présente une originalité qui lui confère une dimension neuve et troublante : le fait majeur y est la folie, la vraie folie délirante, l'effroi qu'elle inspire et le suicide qu'elle provoque.