Tchekhov La Mouette « Mon père et ma mère ne veulent pas que je vienne ici. Ils disent que c'est la bohème ici... ils ont peur que je devienne actrice... Mais je suis attirée par ce lac comme une mouette... Mon coeur est plein de vous. » Nina deviendra bien actrice, mais elle s'éloignera de l'écrivain Treplev qui un jour a symboliquement déposé à ses pieds une mouette qu'il venait de tuer : « C'est comme ça bientôt que je me tuerai moi-même. » Mais dans ces quatre tableaux que sont les actes de la pièce créée en 1896, l'intrigue importe moins que la constellation de personnages divers attirés par le lac enchanteur, moins aussi que les paroles banales, et cependant saturées de sens, qu'ils s'adressent à eux-mêmes aussi bien qu'aux autres et qui disent la difficulté de communiquer. Des êtres insignifiants ? Extérieurement, remarquait avec raison Georges Pitoëff, car « le feu intérieur les dévore. Ils sont frères et soeurs des personnages de Dostoïevski ».
Edition de Patrice Pavis.
Traduction d'Antoine Vitez.
«C'est dans cette chambre que je dormais, d'ici que je regardais le jardin, le bonheur se réveillait en moi tous les matins...» Lioubov Andreevna Raveskaïa revient chez elle après une longue absence, ruinée par l'amant qu'elle a suivi cinq ans auparavant. Elle est dans l'obligation de vendre la Cerisaie, son domaine et, qui plus est, à celui qui auparavant la servait : autres temps, autres classes sociales... C'est dans ces circonstances qu'elle retrouve une dernière fois sa famille et règle les détails de la vente. En quatre actes, on parle, on chante, on rêve, on soupire, on danse jusqu'au matin. Un véritable bal à regarder et à écouter, entre deux cerisiers qui hésitent à fleurir.
Tchekhov Oncle Vania L'hiver à la campagne, le thé à sept heures du matin, les soirées interminables, le dégoût des autres et surtout de soi-même. L'ennui est là, comme une espèce de boue gluante dans laquelle on s'enlise, comme des sables mouvants qui les engloutiront tous, Vania, Sonia, Astrov.
Dans un dernier sursaut, ils sortent la tête, essaient de haïr, d'aimer, de tuer, de se tuer... Ils n'en ont plus la force, ni l'envie. Rien que de penser à tout ce qu'ils auraient pu être, à tout ce qu'ils auraient pu faire. Oui, mais quoi oe Ailleurs, sans doute, il existe autre chose, une autre vie. En Afrique, il fait chaud.
Tchekhov, peintre génial et docteur impuissant du terrible mal de ne pas vivre.
Nouvelle traduction et préface de Bruno Sermonne et Tonia Galievsky.
Commentaires et notes de Patrice Pavis.
Dans une ville de province, perdue dans l'immense Russie, trois soeurs s'ennuient, mais espèrent : Moscou, le retour de l'enfance, la vraie vie... Tout est encore possible, le deuil est fini, la vie attend.
La vie s 'écoule, sans événement. Les officiers vont et viennent. Tous s'accrochent aux mots, mais les mots tuent ou s'usent.
Les trois soeurs n'iront jamais à Moscou. Elles ont tout perdu, même l'espoir de partir. Les Trois Soeurs, la plus tchékhovienne des quatre grandes pièces de Tchékhov, a inspiré les plus grands metteurs en scène depuis Stanislavski jusqu'à Pintilié et Krejca.
Comment vivre, comment survivre, en ce monde, en Russie et ailleurs ?
« A la fin, les soeurs sentent que c'est seulement en reconstituant leur ensemble qu'elles peuvent survivre. Elles se cherchent, s'embrassent, en quête d'une unité nécessaire. Olga n'a-t-elle pas peur non pas du fait qu'on va les oublier, mais plutôt du fait qu'on va oublier combien elles étaient : la femme-mère, la femme-femme, la femme-enfant. Trois, la perfection » ( Lucian Pintilié ).
Lire Tchékhov, c'est prendre conscience d'un vide où résonnent les rêves déçus. Ce sentiment de vacuité saisit Ivanov au milieu de son quotidien bourgeois, dans la pièce du même nom. Dans Les Trois soeurs, les rêves des héroïnes se heurtent aux promesses creuses des hommes qu'elles rencontrent. Ce fou de Platonov est l'incarnation de l'attrait pour ce gouffre : en dépit de son manque d'authenticité, les autres personnages gravitent irrésistiblement autour du héros, tous comme les yeux des spectateurs qu'il fascine. Car le théâtre se révèle le lieu privilégié pour mesurer l'ampleur de ce vide : témoins dans La Mouette les illusions de l'actrice Nina et l'échec du dramaturge Konstantin à susciter l'admiration de sa mère. Avec Tchékhov, on s'élève au-dessus d'un abîme quotidien pour faire l'épreuve d'un vertige qui ne nous quittera plus.
La Cerisaie et Oncle Vania mettent en scène deux familles confrontées à la question de la vente des domaines qu'elles occupent. Héritiers d'un monde éteint, les personnages contemplent la certitude de leur déclin. Venus après la défaite, les aristocrates de La Cerisaie sont condamnés à demeurer dans un monde auquel ils n'ont plus part. Des anciens privilèges seigneuriaux, il ne reste que celui de hanter ces demeures vouées à la ruine. Comme l'inlassable Khrouchtchev (Le Sauvage), qui replante les arbres à mesure que les hommes les arrachent, les personnages de Tchékhov sont tenus de prolonger indéfiniment le délai qui les sépare de l'inévitable. Loin de démentir ces trois drames, la brièveté des neuf pièces en un acte qui les suivent confirme l'impossibilité d'abréger l'éternité.
Pour la première fois l'ensemble de l'oeuvre de Tchékhov est offerte au public français sous la forme ramassée de trois volumes de la Pléiade. Le premier tome comporte le Théâtre, traduit par Elsa Triolet, y compris le Platonov, oeuvre de jeunesse étrange et touffue, récemment mise à jour, qui profile en un raccourci baroque tout l'univers théâtral du Tchékhov de la maturité. Le théâtre est suivi des Récits pour la période 1882-1886. C'est l'époque des débuts de Tchékhov; elle est dominée par sa participation aux petites revues satiriques du temps et par la veine humoristique, mais, derrière la fantaisie pittoresque, pointent déjà l'émotion et l'acuité de l'oeuvre ultérieure.
Alexeï Laptev a trente-quatre ans quand il se rend au chevet de sa soeur malade, dans une petite ville de province. Il y tombe amoureux d'une jeune femme de douze ans sa cadette et ne sera pas long à la demander en mariage, sachant pourtant que sa passion n'est pas payée de retour. Laptev n'est pas un homme séduisant, mais il a pour lui sa droiture ainsi qu'une solide fortune, et sa demande sera acceptée. Trois années vont s'écouler, durant lesquelles les sentiments vont évoluer, le futur se dessiner, très logiquement sans doute mais avec cette nuance d'étrangeté, ces petits riens imprévisibles que l'art de Tchékhov est de parfaitement restituer, pour saisir la vie dans ce qu'elle a de plus intime, de plus secret, de plus singulier.
Pièces extraites d'Oeuvres, I (Bibliothèque de la Pléiade)
Iakov Ivanonov gagne sa vie tant bien que mal en fabriquant des cercueils dans une petite bourgade où l on ne meurt pas assez à son goût. Âgé de soixante-dix ans, il vit obsédé par les petits aléas de son commerce, sans considération pour ce qui l entoure. Il faut que sa discrète épouse passe de vie à trépas et que lui-même tombe malade pour qu il réapprenne à observer le monde. Le Violon de Rothschild est la chronique d une rédemption in articulo mortis, une fable dans laquelle les regrets ne sont pas qu amertume et font parfois naître un élan salvateur.
Un quotidien fait de calculs mesquins, une cuisante déception amoureuse, un profond sentiment de désarroi face à l'existence... Les personnages de ces nouvelles sont englués dans une existence qui leur rétrécit l'âme, qui éteint leur joie de vivre. Mais peut-être nous invitent-ils à méditer le conseil que se donne l'un d'entre eux : «La vie est effrayante, alors il n'y a pas à se gêner avec elle, brise-la et prends tout ce que tu peux lui arracher avant qu'elle ne t'écrase.» Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Quatre nouvelles pour découvrir un immense écrivain au sommet de son art.
Iêgorouchka n'a pas encore dix ans lorsqu'il entreprend au coeur de l'été son premier grand voyage. Et ce sera pour lui la découverte émerveillée de la steppe russe, de cet océan sans vagues où quelques marchands naviguent en convois sur la grand-route, de ses lointains bleus traversés de brusques orages, de sa faune secrète ou familière, de son peuple de bergers ou de cavaliers évanescents. Les veillées à la belle étoile où l'on forge le trésor des contes lui ouvriront aussi la porte des rêves. Mais les mystérieux kourganes en faction depuis le fond des âges conserveront tous leurs secrets.
La Steppe, c'est aussi l'enfance revisitée par un écrivain encore jeune engagé non sans appréhension sur les traces des maîtres qui ont chanté la nature russe: Tourguenev, Tolstoï et surtout Gogol.
Tchekhov voulait qu' on lut son récit "comme un gourmet mange les bécasses". Plus d'un siècle après sa publication, il n'a rien perdu de sa délicate saveur.
Anton Tchékhov est un farceur, plus précisément un auteur de farces. Il s'agit ici de deux farces en un acte, datant de 1888 : Une demande en mariage et L'Ours. On y a ajouté en fin de volume un court récit de 1886, une attrape, une petite tromperie, intitulé Raté. Les petites pièces en un acte, ces petites farces comiques et tragi-comiques, sont des tableaux de moeurs où s'exprime pleinement la drôlerie, l'humour particulier de Tchékhov. »La drôlerie de Tchékhov est d'une saveur, d'une violence grotesque incomparables. Elle n'est pas toujours prisonnière de la démonstration satirique, mais sait être folle, échevelée, jongler pour le plaisir avec les mots, les masques, l'absurde et le fantasque.» L'intérêt de l'édition réside aussi dans la fabrication de l'ouvrage. Tout est ici un peu farceur : le papier nappe de la jaquette, la mise en page des dialogues, la couleur des papiers, le petit format. Nous reprenons le format des Demi-Cosaques, une collection dans laquelle ont été publiés les livres de Max Frisch, Frans Masereel, Marcel Proust (Mort de ma grand-mère) et prochainement les Sonnets de Shakespeare. P.-S. : Deux ans plus tard, dans un registre plus grave, Tchékhov partira pour Sakhaline, l'île des bagnards. Il traverse toute la Russie et la Sibérie. Nous avons publié deux volumes relatant ce périple et cette enquête : - L'Amour est une région bien intéressante - Sakhaline.
Anton TCHEKHOV (1860 - 1904) : après une enfance difficile, Tchekhov entreprend des études de médecine (il commence à exercer en 1884) et publie, à partir de 1880, des nouvelles dans différents journaux humoristiques. Son premier recueil, Les récits bariolés, paraît en 1886. Maître de la nouvelle brève (il en a écrit plus de cent), Tchekhov a également révolutionné le théâtre russe (Oncle Vania, La Mouette, Les trois soeurs, la Cerisaie...). De santé fragile, il meurt à 44 ans de la tuberculose.
Catherine EMERY : traductrice de littérature russe et soviétique, elle a notamment publié en traduction française des poésies d'Essiénine et des ouvrages pour la jeunesse.
Seul pour un bref séjour au bord de la mer Noire, Gourov ne recherchait qu'une aventure sans lendemain. Mais rentré à Moscou, il ne parvient pas à oublier la jeune femme, mariée comme lui, rencontrée là-bas. Il la retrouvera et cet amour s'installera dans leur vie presque malgré eux. L'amour, Anna Akimovna, l'héroïne d'Au royaume des femmes, riche héritière d'une usine, ne l'a pas encore rencontré. Inhabile aux rapports d'argent, gênée de son opulence face aux pauvres, elle croit un moment trouver dans Piménov, un de ses employés, l'homme rassurant et solide qui pourrait prendre en mains sa vie...
Un jeune homme entreprend de faire une demande en mariage qui tourne au pugilat. Un propriétaire terrien, ours mal léché, vient réclamer de l'argent à une veuve résolue à rester fidèle à la mémoire de son mari. Un conférencier chargé de développer devant une assemblée de province les méfaits du tabac raconte en fait les déboires de sa vie conjugale. Trois pièces en un acte portant un regard terriblement moqueur sur le mariage, l'amour et la solitude dans la Russie du siècle dernier. Le dossier propose des exercices pour se familiariser avec les ressorts du genre théâtral (les caractères bien tranchés des personnages, l'efficacité des intrigues) et s'initier à l'art de la mise en scène.
Anton Tchekhov ne nous a pas laissé ce qu'on appelle communément des écrits sur le théâtre. Certes, il existe des milliers d'études universitaires sur son oeuvre mais pour quelqu'un qui aime le théâtre et pour celui qui le pratique, une phrase d'un grand auteur peut révéler plus que cent pages d'élucubrations universitaires.
Comme le montrent les récits de ses jeunes années, Tchekhov fut très tôt un habitué du monde des coulisses. Le théâtre l'attire et, malgré ses déceptions, ne le lâche plus. Il ironise sur le vedettariat et maudit le bruit : les acteurs qui glapissent, les coups de canon, l'usage de la dynamite. Il réclame du silence, un peu de silence, s'il vous plaît, pour enfin faire entendre la musique des mots. Il est dans ses lettres et critiques celui que nous connaissons par ses pièces : un homme d'un humour très fin et caustique à la fois. Ses observations, allant souvent au-delà du théâtre concernent l'art et les artistes en général. Et qui dit art, dit inévitablement société.
Ses articles sur la vie théâtrale moscovite, paru entre 1883 et 1885 dans l'hebdomadaire « Oskolki » (Fragments) de Saint Petersburg montrent un observateur aigu, comme dans ce grand reportage sur une tournée de Sarah Bernard à Moscou. On voit pour qui et contre quoi Tchekhov prenait position. L'acuité de son jugement n'a pas changé quand, plus tard, il s'agissait de ses propres pièces et de leurs mises en scène. On peut y apprendre beaucoup et surtout que les acteurs revêtent pour lui une importance capitale.
J'étais jeune, plein de feu, sincère, pas idiot ; j'avais l'amour, la haine et la foi, mais pas comme les autres, je travaillais et je rêvais pour douze, je combattais les moulins, je me tapais la tête contre les murs ; sans avoir pris la mesure de mes forces, sans réfléchir, sans rien connaître de la vie, j'ai voulu soulever une charge et je me suis cassé le dos. Comme si j'avais voulu me dépêcher de gaspiller toutes mes forces dans ma jeunesse, j'étais sans cesse enflammé, excité et je travaillais sans compter. Tu peux me dire comment j'aurais pu faire autrement ? Nous ne sommes pas nombreux et le travail, il y en a beaucoup, beaucoup ! Dieu seul sait à quel point il y en a ! Et voilà avec quelle cruauté la vie, contre laquelle je me suis battu, se venge ! Je me suis cassé l'échine ! Et en voici à trente ans, les conséquences déplorables : je suis déjà vieux et il est grand temps pour moi d'aller en chaussons.