Les cinq nouvelles qui composent ce recueil retracent toutes l'histoire d'un conflit, avant que Tchékhov ne nous en rappelle in fine la seule issue. Qu'il s'agisse du destin d'un infirmier fasciné par ses voleurs, de la genèse de la haine qui oppose un médecin et son visiteur, du procès d'un homme soupçonné d'assassinat, d'une violente dispute entre père et fils ou de deux malades souffrant ensemble sur un bateau militaire, Tchékhov décrit avec une précision clinique les mécanismes qui voient naître les inimitiés, rendent insolubles les dilemmes et jettent les hommes les uns contre les autres, fermement convaincus de leur bon droit.
Le professeur Bélikov éprouve le besoin maladif de se protéger du monde extérieur, de mettre de l'ordre en chaque chose, de se rabougrir jusqu'à presque disparaître. Il se fait une carapace de sa conception étriquée du devoir, des convenances, de la hiérarchie, et sournoisement force ceux qui l'entourent à se plier à son étouffante manière d'envisager l'existence. Tout ce qu'il y a d'humain en lui est enfermé dans un étui mais pour une créature de chair et de sang, le cercueil n'est-il pas le meilleur étui ?
Grigori Tsyboukine, homme d'âge mûr à l'énergie inépuisable, est l'un des principaux commerçants de son village. Il y tient l'épicerie et se livre à toutes sortes de trafics, en prenant soin de tromper et flouer tant ses clients que ses fournisseurs.
L'un de ses fils, sourd et faible d'esprit, est marié à une très belle jeune femme, qui seconde à merveille son beau-père dans son commerce mais pourrait bien nourrir secrètement de plus vastes ambitions. L'autre est devenu policier et mène une joyeuse vie de célibataire dans la ville voisine. Guère aimés de leur entourage, ils vivent dans l'aisance, parfaitement satisfaits de leur sort, jusqu'au jour où l'agent de police est accusé de trafic de fausse monnaie...
Alexeï Laptev a trente-quatre ans quand il se rend au chevet de sa soeur malade, dans une petite ville de province. Il y tombe amoureux d'une jeune femme de douze ans sa cadette et ne sera pas long à la demander en mariage, sachant pourtant que sa passion n'est pas payée de retour. Laptev n'est pas un homme séduisant, mais il a pour lui sa droiture ainsi qu'une solide fortune, et sa demande sera acceptée. Trois années vont s'écouler, durant lesquelles les sentiments vont évoluer, le futur se dessiner, très logiquement sans doute mais avec cette nuance d'étrangeté, ces petits riens imprévisibles que l'art de Tchékhov est de parfaitement restituer, pour saisir la vie dans ce qu'elle a de plus intime, de plus secret, de plus singulier.
Iakov Ivanonov gagne sa vie tant bien que mal en fabriquant des cercueils dans une petite bourgade où l on ne meurt pas assez à son goût. Âgé de soixante-dix ans, il vit obsédé par les petits aléas de son commerce, sans considération pour ce qui l entoure. Il faut que sa discrète épouse passe de vie à trépas et que lui-même tombe malade pour qu il réapprenne à observer le monde. Le Violon de Rothschild est la chronique d une rédemption in articulo mortis, une fable dans laquelle les regrets ne sont pas qu amertume et font parfois naître un élan salvateur.
À vingt-cinq ans, Missaïl perd pour la dixième fois la petite place d'employé de bureau dans laquelle il végétait. Affligé d'une inaptitude chronique à prendre au sérieux la stricte observation des convenances et de la hiérarchie sociale qui régit la petite ville où il est né, il cherche avec une parfaite bonne foi une façon de vivre qui ne lui donnerait pas en permanence l'impression d'étouffer.
Qu'il s'agisse de la profession qu'il choisit d'exercer ou de sa vie matrimoniale, il va découvrir que l'amour et le respect de la liberté ont un prix terriblement élevé, et que ceux qui l'entourent ne peuvent que rendre plus amers les renoncements et sacrifices qu'il a décidés.
Ma vie, qui parut en 1896, l'année de l'achèvement de La Mouette et d'Oncle Vania, est l'une des nouvelles les plus amples qu'écrivit Anton Tchékhov (1860-1904).