«C'est dans cette chambre que je dormais, d'ici que je regardais le jardin, le bonheur se réveillait en moi tous les matins...» Lioubov Andreevna Raveskaïa revient chez elle après une longue absence, ruinée par l'amant qu'elle a suivi cinq ans auparavant. Elle est dans l'obligation de vendre la Cerisaie, son domaine et, qui plus est, à celui qui auparavant la servait : autres temps, autres classes sociales... C'est dans ces circonstances qu'elle retrouve une dernière fois sa famille et règle les détails de la vente. En quatre actes, on parle, on chante, on rêve, on soupire, on danse jusqu'au matin. Un véritable bal à regarder et à écouter, entre deux cerisiers qui hésitent à fleurir.
Parce qu'il s'est appliqué à observer ses contemporains pour en extraire ce qu'ils avaient d'intangible et d'universel, Tchekhov a l'art de nous toucher. Il nous met face à nous-mêmes et nous incite à mesurer le poids de nos doutes, de nos rires et de nos silences. Une nouvelle version française et adaptation faite par Olivier chapelet, metteur en scène et directeur du TAPS à Strasbourg
Les vingt-cinq nouvelles présentées ont été publiées par Anton Tchekhov entre 1883 et 1887 dans des revues humoristiques de l'époque et certaines ont fait partie de recueils (Contes de Melpomène, 1884, Nouvelles bariolées, 1886, et Dans la pénombre, 1887) qui ont eu un beau succès populaire. Remarqué par un des meilleurs critiques de l'époque qui lui propose un « vrai travail » littéraire, Tchekhov se consacre désormais à l'écriture. Le lecteur devinera ici des larmes silencieuses, ces larmes invisibles qui vont tant caractériser toute l'oeuvre de Tchékhov. Comme une vieille collection de photographies, elles nous apprennent bien des choses sur la société dans laquelle il vit. Ses personnages sont les champions de l'ennui et de l'échec, et leurs amours s'achèvent souvent en queue de poisson. Comme à son habitude, il maîtrise ses personnages, attachants ou caricaturaux. Avec une sensibilité impressionniste, et avec aisance, il passe du petit notable cupide au pauvre qui joue le noyé pour gagner quelques kopecks ou à l'amant hébergé par sa maîtresse sous les yeux de son mari. Tchekhov parle de l'humanité, des êtres humains, observés minutieusement dans leur quotidien ;il dissèque les apparences, sans porter de jugement, tout en éprouvant une immense compassion pour ses personnages. Son regard est empreint d'une certaine tendresse mêlée de compréhension lorsqu'il parle du propriétaire terrien mort d'ennui en lisant Tourgueniev ou du mari humilié par sa femme devant les invités à un dîner improvisé. De nouvelle en nouvelle, le lecteur perçoit très nettement le changement de tonalité et de style de Tchekhov. L'effet purement comique du début disparaît au fil du recueil pour annoncer la tristesse de La Cerisaie.
Qu'ils soient farceurs ou tragiques, et bien souvent les deux à la fois, les courts récits de Tchekhov frappent surtout par une exceptionnelle modernité littéraire dont il paraît avoir pressenti toutes les facettes. Les nouvelles sont suivies de son roman de jeunesse. L'action de l'Offense se situe en Hongrie. Pour obtenir réparation d'une injure faite à son père par la comtesse de Golduagen, la pauvre mais très belle Ilka, fille du peuple, n'hésitera pas à mettre en oeuvre tous les moyens qui lui sont bons. Un jeune baron ruiné et débauché propose de lui venir en aide : qu'elle amasse seulement un million, lui dit-il, et il l'épousera. Une fois anoblie, elle pourra traîner l'orgueilleuse comtesse devant les tribunaux. Comment Ilka parvient à monnayer ses charmes sans pour autant attenter à sa vertu, - concluant d'éternels marchés de dupes - comment elle finira par épouser le baron et ce qu'il adviendra entre elle et la comtesse, au lecteur d'en suivre les multiples et savoureuses péripéties.
C'est encore au lycée qu'anton palovitch tchekhov, né en 1860 à taganrog, un petit port du sud de la russie, écrit une longue pièce que nous connaissons maintenant sous le titre de platonov (le titre original, absent du manuscrit, semble avoir été un néologisme signifiant approximativement " l'absence de pères ").
Il y évoque la vie dans un domaine comme celui où son grand-père avait dû servir et y décrit la petite bourgeoisie de taganrog ; boutiquiers, nobles déchus, militaires de retour de la guerre de crimée au cours de laquelle massacres et pillages ont discrédité la génération des pères. trop longue, trop brutale, liée à l'actualité la plus immédiate, la pièce ne sera jamais jouée de son vivant, bien qu'il l'ait remaniée à plusieurs reprises pour l'abréger.
La version originale que nous donnons ici (en signalant les coupes opérées par tchekhov pour la réduire et la normaliser) n'avait à ce jour jamais été traduite en français. elle permet de comprendre dans sa plénitude la force d'une oeuvre qui contient comme à l'état brut tout le théâtre du plus grand auteur dramatique de son temps. f. m
J'étais jeune, plein de feu, sincère, pas idiot ; j'avais l'amour, la haine et la foi, mais pas comme les autres, je travaillais et je rêvais pour douze, je combattais les moulins, je me tapais la tête contre les murs ; sans avoir pris la mesure de mes forces, sans réfléchir, sans rien connaître de la vie, j'ai voulu soulever une charge et je me suis cassé le dos.
Comme si j'avais voulu me dépêcher de gaspiller toutes mes forces dans ma jeunesse, j'étais sans cesse enflammé, excité et je travaillais sans compter. tu peux me dire comment j'aurais pu faire autrement ? nous ne sommes pas nombreux et le travail, il y en a beaucoup, beaucoup ! dieu seul sait à quel point il y en a ! et voilà avec quelle cruauté la vie, contre laquelle je me suis battu, se venge ! je me suis cassé l'échine ! et en voici à trente ans, les conséquences déplorables : je suis déjà vieux et il est grand temps pour moi d'aller en chaussons.
Tel est le fil directeur d' « Histoires trompeuses », un recueil de sept récits peu connus de Tchékhov, qui illustrent la propension de notre esprit à se laisser leurrer, que ce soit dans dans des petites choses concrètes (un gardien de cimetière croit rencontrer un mort, un promeneur cède à la panique devant l'incompréhensible, un fonctionnaire cherche l'explication la plus improbable à un phénomène inexpliqué, un jeune homme fait à une jeune fille une farce qui la fait douter d'elle-même et la marque pour toute sa vie) ou dans les grandes, comme l'idée que nous nous faisons de la gloire, du bonheur ou de la charité.
Alexeï Laptev a trente-quatre ans quand il se rend au chevet de sa soeur malade, dans une petite ville de province. Il y tombe amoureux d'une jeune femme de douze ans sa cadette et ne sera pas long à la demander en mariage, sachant pourtant que sa passion n'est pas payée de retour. Laptev n'est pas un homme séduisant, mais il a pour lui sa droiture ainsi qu'une solide fortune, et sa demande sera acceptée. Trois années vont s'écouler, durant lesquelles les sentiments vont évoluer, le futur se dessiner, très logiquement sans doute mais avec cette nuance d'étrangeté, ces petits riens imprévisibles que l'art de Tchékhov est de parfaitement restituer, pour saisir la vie dans ce qu'elle a de plus intime, de plus secret, de plus singulier.
Iakov Ivanonov gagne sa vie tant bien que mal en fabriquant des cercueils dans une petite bourgade où l on ne meurt pas assez à son goût. Âgé de soixante-dix ans, il vit obsédé par les petits aléas de son commerce, sans considération pour ce qui l entoure. Il faut que sa discrète épouse passe de vie à trépas et que lui-même tombe malade pour qu il réapprenne à observer le monde. Le Violon de Rothschild est la chronique d une rédemption in articulo mortis, une fable dans laquelle les regrets ne sont pas qu amertume et font parfois naître un élan salvateur.
« Dans l'histoire de la littérature, écrit Simon Leys, je ne vois guère que Tchekhov chez qui la qualité de l'homme semble avoir correspondu à la qualité de l'artiste. » Vivre de mes rêves en est la vivante illustration. C'est le roman vrai de la vie d'un génie humble, soucieux du sort des autres et d'une rare générosité, dont, par-delà le temps, on a envie de conquérir l'amitié bienveillante, moqueuse, tendre et fidèle...
Cette vaste correspondance permet d'accompagner au fil de son existence cet homme et écrivain aussi soucieux de son art que dévoué à sa famille, à ses amis, à ses patients - un médecin animé par une conception humaniste de son métier et une inquiétude profonde devant l'absurdité de la condition humaine mêlée, pour celle-ci, d'une tendresse fraternelle. Dans ce choix de lettres il raconte sa passion pour le théâtre, son dangereux voyage de reporter à l'île bagne de Sakhaline, ses démêlés avec les éditeurs de ses récits. Grâce à ses conseils à des apprentis écrivains, on peut aussi apprécier les secrets d'un art d'écrire unique, exquis et délicat. « Ma fonction, confiait-il, consiste uniquement à avoir du talent, c'est-à-dire à savoir distinguer les dépositions importantes de celles qui ne le sont pas, à savoir éclairer les personnages et parler leur langue. Chtcheglov-Leontiev me fait grief d'avoir terminé mon récit par la phrase suivante : « On n'y entend goutte en ce monde ! » D'après lui, l'artiste-psychologue se doit d'analyser, c'est en cela qu'il est psychologue. Mais je ne suis pas d'accord avec lui. Il serait temps que les gens qui écrivent, en particulier les artistes, reconnaissent qu'en ce monde on n'y entend goutte. » Des farces entre frères ou cousins aux histoires d'amour impossibles, c'est un Anton Tchekhov intime, sans fard, qui s'offre à nous jusque dans les dernières années de sa vie, découvrant l'amour et le bonheur au moment où la maladie va l'emporter inexorablement.
Dans la préface éclairante et passionnée qu'il consacre à ce volume, Antoine Audouard, initiateur et éditeur du projet, rend hommage à juste titre au « travail admirable » de la traductrice, Nadine Dubourvieux, dont la première tâche fut de choisir les lettres dans la monumentale édition soviétique des oeuvres complètes et de traquer avant de les rétablir les nombreux passages censurés pour indécence, restituant ainsi Tchekhov dans sa vérité sans rien occulter de ses faiblesses ou de ses préjugés.
Par un après-midi de l'été 1893, alors qu'au domaine de Melikhovo tout le monde fait la sieste, Tchekhov se réveille en sursaut et se précipite hors de sa chambre : il a vu en rêve un moine noir et ce rêve lui fait une impression si terrible qu'il en reste bouleversé. Sa manière de se débarrasser d'une vision qui continue de le hanter sera d'en faire, au cours de l'été, la matière d'une longue nouvelle, une nouvelle étrange, d'un genre tout à fait nouveau dans son oeuvre et qu'il semble avoir volontairement abrégée, laissant floues les lignes qui lui auraient permis d'en faire un roman au moment même où il les avait mises en place.
Avec Le Moine noir, nous avons l'une des plus célèbres nouvelles de Tchekhov et, tout à la fois, passant bien largement le genre fantastique auquel on la rattache, une réflexion sur la maladie plus actuelle que jamais.
Françoise Morvan
Les traductions, célébrées, de Gabriel Arout (Aroutcheff), dramaturge et écrivain d'origine russe sont reconnues comme parmi les plus belles des nouvelles de Tchekhov mais jamais rééditées jusqu'à présent.
Le Moine noir est suivi de deux autres nouvelles : Une morne histoire et Volodia Avec une très belle préface de Daniel-Rops, de l'Académie Française.
Trois nouvelles tragiques. Une plongée au plus profond de l'Ame humaine.
Un sommet de la littérature.
Légende ou réalité, cet inquiétant moine noir dont le retour est annoncé dans nos contrées, après une disparition de mille ans ? Réalité, répond Kovrine, le héros du récit, brillant universitaire. philosophe, qui a l'heur - ou le malheur - de rencontrer le moine et de disputer avec lui. Légende, réplique l'entourage de Kovrine, qui ne voit là qu'affabulations et visions malsaines de sa part... Légende ou réalité, l'histoire du moine noir fournit à Tchekhov le prétexte à une réflexion sur le bonheur et le génie, les êtres d'exception et le lot commun. Puissance obscure, le moine noir incarne la tentation de l'orgueil pour le héros qui y cédera, semant autour de lui malheur et souffrance. Le juste prix de sa témérité sera la perte du Jardin d'Eden de l'enfance.
La nouvelle ne passa pas inaperçue. Le critique Mienchikov avoua avoir été effrayé par le récit de la maladie mentale du héros, et il n'est pas le seul. Tolstoï trouve la nouvelle « ravissante ». Meyerhold la placera plus tard parmi les meilleurs récits de l'auteur.
Une morne histoire . Quels étranges liens unissent la jeune Katia et le vieux professeur d'université Nicolaï Stépanovitch ? Il a regardé grandir l'orpheline, l'a vue amoureuse et heureuse, puis souffrante et désespérée. À l'automne de sa vie, Nicolaï a perdu toutes ses illusions et partage avec Katia les mêmes ténèbres et les mêmes silences, sans pouvoir lui tendre la main... Une nouvelle sombre et cruelle où bonheur et amour semblent inaccessibles.
Volodia est un jeune homme de dix-sept ans. Il est laid, gauche et mal dans sa peau. Invité avec sa mère à la campagne chez les Choumikhine, ils sont reçus comme des parents pauvres, son amour-propre en souffre. Il tombe amoureux d'une cousine lointaine, Niouta :
Elle est mariée, elle a trente ans et se moque continuellement de lui. Elle lui cède, il a quelques minutes de bonheur dans le couloir. Le lendemain, il rentre avec sa mère dans la pension de famille où ils habitent, trouve un revolver et se suicide.
La Steppe d'Anton Pavlovitch Tchékhov (1860-1904) est une oeuvre de jeunesse. Parue en 1888, elle fut son premier grand succès littéraire. Cette « Histoire d'un voyage » nous conte un « parcours initiatique », celui d'un jeune garçon quittant sa famille, son royaume d'enfance pour faire ses études dans un chef-lieu éloigné. Chemin faisant, il découvre la nature, la vie ! De paysages grandioses en évocations lyriques, de scènes intimistes en épisodes truculents ou cocasses, autant de pages enchanteresses nous révèlent certains traits déconcertants, parfois très attachants de ce qu'il est convenu d'appeler « l'âme russe ».
De l'océan, de la steppe, les vents soufflent d'où ils veulent... Aujourd'hui, ils se croisent au coeur de l'Europe, au matin d'un siècle encore neuf, parmi les abois des chiens de guerre. Un Esprit Nouveau sans cesse parcourt le Monde. Les Grandes Espérances sont la sève du Renouveau. L'Europe possède deux poumons puissants qui se couplent et forcissent ! L'humour sobre d'un Tchékhov délivre des impressions vastes, nuancées et fortes...
Anton Tchékhov est un farceur, plus précisément un auteur de farces. Il s'agit ici de deux farces en un acte, datant de 1888 : Une demande en mariage et L'Ours. On y a ajouté en fin de volume un court récit de 1886, une attrape, une petite tromperie, intitulé Raté. Les petites pièces en un acte, ces petites farces comiques et tragi-comiques, sont des tableaux de moeurs où s'exprime pleinement la drôlerie, l'humour particulier de Tchékhov. »La drôlerie de Tchékhov est d'une saveur, d'une violence grotesque incomparables. Elle n'est pas toujours prisonnière de la démonstration satirique, mais sait être folle, échevelée, jongler pour le plaisir avec les mots, les masques, l'absurde et le fantasque.» L'intérêt de l'édition réside aussi dans la fabrication de l'ouvrage. Tout est ici un peu farceur : le papier nappe de la jaquette, la mise en page des dialogues, la couleur des papiers, le petit format. Nous reprenons le format des Demi-Cosaques, une collection dans laquelle ont été publiés les livres de Max Frisch, Frans Masereel, Marcel Proust (Mort de ma grand-mère) et prochainement les Sonnets de Shakespeare. P.-S. : Deux ans plus tard, dans un registre plus grave, Tchékhov partira pour Sakhaline, l'île des bagnards. Il traverse toute la Russie et la Sibérie. Nous avons publié deux volumes relatant ce périple et cette enquête : - L'Amour est une région bien intéressante - Sakhaline.
Tchekhov est l'un des plus grands écrivains de la seconde moitié du XIXe siècle, et, avec Maupassant, Katherine Mansfield et quelques autres, l'un des maîtres de ce genre difficile entre tous : la nouvelle.
Le choix établi pour le présent volume donne au lecteur un aperçu de toutes les facettes de Tchekhov nouvelliste : le farceur, le psychologue, le peintre de moeurs, le visionnaire.
Cette réédition de quelques-unes des plus belles nouvelles de Tchekhov (il y en a beaucoup qui méritent ce qualifiquatif il est vrai) se veut au-delà du plaisir que l'on trouve à les lire un hommage à leur traducteur : Boris de Schloezer.
Grand admirateur de Tchekhov il tint dès 1926 à louer les qualités exceptionnelles du grand écrivain russe en rédigeant pour ce recueil une lumineuse préface qui va au coeur de l'oeuvre de l'auteur d'Oncle Vania. Ainsi a-t-il à coeur de souligner le « ton discret, égal, sans le moindre éclat, qui n'appartient qu'à lui (Tchekhov) et qui le situe dans la ligne de Pouchkine et Lermontov ». Parallèlement il mit ses qualités de traducteur au service des quelques nouvelles reproduites dans ce livre. Chefs d'oeuvre parmi les chefs d'oeuvre.
Anton Tchekhov ne nous a pas laissé ce qu'on appelle communément des écrits sur le théâtre. Certes, il existe des milliers d'études universitaires sur son oeuvre mais pour quelqu'un qui aime le théâtre et pour celui qui le pratique, une phrase d'un grand auteur peut révéler plus que cent pages d'élucubrations universitaires.
Comme le montrent les récits de ses jeunes années, Tchekhov fut très tôt un habitué du monde des coulisses. Le théâtre l'attire et, malgré ses déceptions, ne le lâche plus. Il ironise sur le vedettariat et maudit le bruit : les acteurs qui glapissent, les coups de canon, l'usage de la dynamite. Il réclame du silence, un peu de silence, s'il vous plaît, pour enfin faire entendre la musique des mots. Il est dans ses lettres et critiques celui que nous connaissons par ses pièces : un homme d'un humour très fin et caustique à la fois. Ses observations, allant souvent au-delà du théâtre concernent l'art et les artistes en général. Et qui dit art, dit inévitablement société.
Ses articles sur la vie théâtrale moscovite, paru entre 1883 et 1885 dans l'hebdomadaire « Oskolki » (Fragments) de Saint Petersburg montrent un observateur aigu, comme dans ce grand reportage sur une tournée de Sarah Bernard à Moscou. On voit pour qui et contre quoi Tchekhov prenait position. L'acuité de son jugement n'a pas changé quand, plus tard, il s'agissait de ses propres pièces et de leurs mises en scène. On peut y apprendre beaucoup et surtout que les acteurs revêtent pour lui une importance capitale.
Ce volume invite à redécouvrir Tchékhov. Son théâtre d'abord. On trouvera ici les oeuvres dramatiques complètes de l'auteur de La Cerisaie, y compris, donc, les divertissements en un acte qui, de la saynète au vaudeville, n'ont pas pris une ride. Leur verve parfois féroce aide à mieux comprendre pourquoi Tchékhov, contre ses admirateurs et ses metteurs en scène, soutenait que ses grandes pièces étaient comiques.
Quelques pièces exceptées (données dans une traduction originale d'Anne Coldefy-Faucard), la traduction est celle de Denis Roche, le premier à avoir popularisé Tchékhov en France, le seul traducteur qui ait connu personnellement l'écrivain.
C'est de même un Tchékhov «en son temps» qui est présenté, à travers ses écrits (correspondance, carnets) et des témoignages d'amis. Un Tchékhov ni plus ni moins authentique qu'un autre, sans doute, mais encore plus contradictoire, donc plus vivant et plus proche.
On croit connaître le «bon docteur» Tchékhov, ami des pauvres et philanthrope, le malade et le sceptique entre désespoir et rêves d'avenir. Connaît-on le Tchékhov passionné de vivre, entouré de jolies femmes, l'amateur de canulars et de cirques, le grand sportif et le grand voyageur ?
Ce Tchékhov-là, qu'agacent les propres sur sa «tendresse», sa «mélancolie» ou son «pessimisme», est un anticonformiste. Il se veut à chaque instant, un homme libre. Il ne donne pas de leçons et ne veut pas en recevoir. Il refuse tous les embrigadements au nom du Peuple, du Progrès (auquel il croit), de l'Art et des Lumières. S'il entend travailler au bien commun, c'est parce qu'il trouve là son bonheur. Quant aux maîtres à penser, il les suspecte d'abuser de leur rente de situation médiatique, qu'ils s'appellent Tolstoï ou Diogène. Sa liberté à lui, c'est de vivre et penser totalement l'égalité naturelle entre tous les hommes. Tsiolkovski, le génial précurseur de la cosmonautique russe, avait un mot favori : «Je veux être un Tchékhov en science.» Jean Bonamour professeur à Paris IV.
«Par la volonté de l'écrivain lui-même d'une part, par le choix des éditeurs de l'autre, bon nombre de ses récits et nouvelles n'avaient pas encore vu le jour en France. Il nous est permis d'en faire un nouveau choix.Il s'inscrit dans l'univers multiple de Tchékhov, nous offrant tour à tour la pochade grotesque (Le dindon), la vie échevelée d'une cantatrice (Lui et Elle), la partie de chasse ratée de deux rustres (Trop tôt), la nostalgie de la jeunesse perdue (Chez des amis), la pudique pitié humaine dont l'auteur, qui se disait froid, a le secret (Le tapeur).Le canevas des trente-huit titres que nous présentons est, comme toujours, simple. Par la magie tchékhovienne, s'y greffent et s'évanouissent des fragments de vie, fusent quelques rires, s'effilochent les rêves.»Lily Denis.
Il s'agit bien d'une fin d'après-midi... Et d'une fin d'après-midi d'été. Mais d'une fin d'après-midi en Russie, au XIXe siècle. Il s'agit aussi de chroniques... fragments de l'oeuvre d'Anton Tchekhov : quelques scènes de plein air du Duel (sa plus longue nouvelle), de La Mouette et de La Cerisaie. Quant au décor - le Cloître du Palais Vieux - le lieu tel qu'il est, aussi réel et naturel que le sera la lumière... celle d'une fin d'après-midi d'été. Dans ce décor, lieu solitaire et abandonné d'une campagne lointaine, un groupe (la famille, les amis) vient, comme dans Le Duel, pique-niquer au crépuscule...
"Comédie subtile et jubilatoire sur les soucis qui tombent sur les Moscovites dès qu ils se retrouvent à la campagne... Le texte traite, au travers de dialogues savoureux, non pas de ""petites choses"" humoristiques, mais de l homme bien souvent ""de trop"", concept créé par Tourgueniev, un homme qui ne trouve pas sa place dans la société civile nouvellement créée, désemparé qu il est devant la vie nouvelle. Apparaissent au fil des répliques, la misogynie, maladie répandue en Russie tsariste et réaction masculine devant les femmes qui cherchent à s émanciper et délaissent leurs enfants..."